Saint Arnoult Chronique historique n°6
Au bras de Saint Arnoult
Qui sait aujourd’hui que Saint Arnoult n’est pas seulement le nom bizarre d’un vieux bras de Marne asséché ou comblé mais qu’il est le saint patron de la paroisse de Gournay-sur-Marne ?
Et pourtant la fête patronale[1] de Gournay, le 18 juillet, fut jusqu’à la première guerre mondiale l’occasion d’activités religieuses, de processions, de bénédictions et de fêtes « populaires » d’où est sans doute partie la réputation festive de Gournay-sur-Marne.
Qui fut Arnoult ?
Certains historiens[2] ont d’abord pensé qu’il s’agissait de Saint Arnulf, (580-†640) évêque de Metz qui fut le précepteur de Dagobert 1er, oui, celui qui lui avait appris non sans mal à s’habiller. Ce n’était pas rien, car cet Arnulf-là fut un des ancêtres des carolingiens.
C’est un peu dommage, que ce ne soit pas Saint Arnulf mais, tout compte fait, quand les historiens connurent l’histoire plus franche de notre Arnoul, ils s’y rallièrent avec entrain.
Car en effet notre Arnoul qui s’écrivait sans t était un noble franc, né vers 478 à Rethel dans les Ardennes qui devint un disciple favori de Saint Rémi, l’évêque de Reims qui avait baptisé Clovis (ca 466-†511) et converti les anciens francs polythéistes en francs chrétiens le 24 décembre 498.
Dans le quart bas à gauche : le chaste mariage d’Arnoul et de Scariberge par St Rémi
Enluminure du « Moirouer historial » de Vincent de Beauvais (1190- 1264) https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52506706r/f846.item.zoom
Iconographie suggérée par l’excellent site biblissima.fr
Arnoul devint l’émissaire diplomatique de Clovis à Rome, à Ravenne, en Espagne, aux lieux saints, et à Constantinople et il fut envoyé en Espagne pour évangéliser les ariens[3].
Reconnaissant, le roi Clovis (465-511) le distingua en lui offrant la main de Scariberge[4], une de ses nièces (ils se marièrent mais les deux firent vœux de chasteté).
Déjà le « en même temps ».
Arnoul fut élu évêque intérimaire à Tours vers 520. Revenu pour l’anniversaire de la mort de Saint Rémi, il fut assassiné à Reims, voie Caesarea (rue du Barbâtre) en 535.
Scariberge[5] devait ramener son corps à Saint Martin-de-Tours pour respecter ses dernières volontés. Son convoi funéraire ne pouvant ou ne voulant payer le passage[6] de la frontière des carnutes[7] dans la forêt des Yvelines, Arnoul fut inhumé dans une grotte sur place et plus tard sa veuve fit élever un oratoire à l’endroit même. Elle se retira dans un ermitage à proximité et mourut dans la sainteté trois ans plus tard. Elle repose en paix dans la crypte d’Arnoul et fut faite Sainte Scariberge.
Saint Arnoult fut parfois représenté terrassant le dragon du péché.
Le couple fut honoré par un pèlerinage important, une petite ville s’est agrégée autour d’un oratoire puis d’un prieuré[8] (1021), puis l’église de Saint Arnoult fut construite par un certain Guy 1er de Rochefort dit Guy le Rouge en 1104[9] .
Les historiens de la ville de Saint-Arnoult [10] en Yvelines déchiffrant dans l’église des peintures murales, mises à jour au XXème siècle, montrèrent qu’Arnoul était devenu saint patron des chasseurs et … des cocus.[11]
Des mauvais esprits pensent que c’est ce qui explique le nombre considérable de pèlerins venant prier saint Arnoul pour obtenir son intercession.
Guy le Rouge ?
Armoiries de Guy le Rouge en croisade
Fin du XIème siècle, le seigneur de Gournay-sur-Marne était le chevalier Guy dit Le Rouge, (ca 1042 – 1108). La croix rouge sur ses armes qui rappelle sa participation à la première croisade n’arriva dans ses armes qu’en 1096.
Ce noble personnage était un des plus riches du (petit) royaume des francs de son temps. C’était le second fils de Guy 1er de Montlhéry, également dit Guy-le-Rouge qui mourut en 1095, il devint alors seigneur de Montlhéry, d’un tiers de la Ferté-Alais, etc .. et de sa mère Hodierne de Gometz, décédée en 1074, Dame de Gometz-le-Châtel. Il hérita encore d’un tiers de la Ferté-Alais, d’un bout de Corbeil, de possessions innombrables, etc …et de la seigneurie de Gournay-sur-Marne.
Il épousa Adélaïde (alias Adeline ou Aélis ou Elisabeth) de Rochefort en 1063, devenant plus tard après le décès du titulaire du titre, comte de Rochefort et comte de Châteaufort. Il prit alors le nom de Guy 1er de Rochefort. Il est à noter que les comtes de Rochefort avaient eu moult contentieux avec le Prieuré de Saint Arnoul à seulement une lieue (4,4km) de distance. Le contentieux portait sans doute sur la juste compensation des frais de protection du pèlerinage, en effet les comtes de Rochefort faisaient la prévôté et la justice jusqu’à Chartres et sur la riche Beauce.
Guy et Adélaïde, seigneurs de Gournay-sur-Marne, créateurs de son Prieuré
Peu avant le décès d’Adélaïde (ou Adeline ou Aélis ou Elisabeth) vers 1080, Guy le Rouge et son épouse, seigneurs très pieux, qui n’avaient à Gournay-sur-Marne qu’une modeste chapelle seigneuriale auprès du château fortifié sur l’île de Baubigny, décidèrent d’établir un prieuré à Gournay-sur-Marne qui comprendrait rapidement une église abbatiale.
Se gardant l’île de Baubigny, les seigneurs dotèrent cette communauté monastique de nombreuses terres arables et pâturables et de moulins sur le bras d’eaux vives de la Marne et sur la Marne avec droits de banalité[12]. Ces deux cours d’eau protégeaient le château seigneurial et le tout petit village de Gournay-sur-Marne (moins d’une trentaine de foyers) à l’intérieur de fortifications.
Le Prieuré serait naturellement protégé des crues par son altitude.[13]
mandragore.bnf.fr
Après quelques années de fonctionnement, probablement vers 1095, Guy légua le nouveau Prieuré de Gournay au Prieuré de Saint-Martin-des-Champs, déjà propriétaire du domaine voisin de Noisy-le-Grand.
Le Prieur de Saint-Martin-des-Champs se chargeait de pourvoir sa filiale de Gournay en moines : un prieur et deux douzaines de prêtres bénédictins obéissant à l’ordre rigoureux de Cluny.
L’église abbatiale du prieuré de Gournay-sur-Marne fut consacrée par l’évêque de Paris à Notre Dame et à Saint Jean l’Évangéliste.
L’église Saint Arnoult fut construite extra muros à Gournay en 1720. Elle était semblable à l’église paroissiale construite intra muros après les guerres de religion qui elle-même était peu différente de la chapelle seigneuriale du XIIème siècle à l’intérieur de l’île de Baubigny près du château seigneurial.
Saint Arnoult intra-muros en 1644 d’après Claude de Chastillon ca1593 orientée vers le levant
Église Saint Arnoult extra-muros, après 1720, orientée vers le septentrion
Collection particulière citée par Mme Rivière dans Le Roman de Gournay p130
Guy-le-Rouge fut veuf d’Adelaïde (alias Adeline) de Rochefort en 1080. Un peu plus tard Guy épousa Elisabeth (alias Adelaïde, alias Isabeau, alias Alix), Dame de Crécy et de Montdidier, veuve de Bouchard de Corbeil, seigneur de la Tour (Taverny) et d’autres terres.[14]
Guy 1er de Rochefort Le Rouge était alors le favori du roi des francs Philippe 1er qui le fit sénéchal c’est à dire le doyen des serviteurs du roi, chef de la maison royale, conduisant les troupes en temps de guerre.
« Res Reliquiearum Sancti Arnul » ou « l’Affaire des Reliques de Saint-Arnoult »
Les historiens arnolphiens[15] déjà cités, rappellent que vers 935, un prêtre du nom de Constance[16], avait volé dans la crypte de Saint Arnoul en Yvelines sur commande du seigneur de Crépy-en-Valois une partie du corps du saint Arnoul pour doter de reliques son lieu de culte et élever ainsi le rayonnement religieux de Crépy. Un chapitre de chanoines puis un prieuré clunisien puis une abbaye s’y établirent, tellement prier Arnoul devenait tendance.
Statue de Saint Arnoul[17] partie est du cloître de l’abbaye de Saint Arnoul à Crépy-en-Valois
Cent cinquante ans plus tard environ, croyant faire plaisir au seigneur de Gournay, leur bienfaiteur, des moines de Gournay-sur-Marne en visite à Crépy en Valois, acquirent moyennant finances quelques reliques de saint Arnoult recélées du vol à Saint Arnoult (en Yvelines) et en firent offrande pour la chapelle seigneuriale de Guy le Rouge à Gournay-sur-Marne car la dévotion de Guy le Rouge envers Saint Arnoul était connue sur toutes ses terres.
Désormais dotée de reliques de Saint Arnoul, la chapelle seigneuriale de Gournay put devenir l’église paroissiale Saint Arnoult de Gournay et sans doute à la même époque, le bras de Marne sur lequel les moines avaient autrefois établi leur moulin, fut appelé Bras Saint Arnoult.
Après cet épisode, le très pieux Guy 1er de Rochefort dit Guy Le Rouge pouvait partir l’esprit tranquille (son couple serait protégé par le saint patron) en 1096 à la première croisade appelée de ses vœux par le Pape Urbain II en 1095.
En croisé : Guy-le-Rouge Comte de Rochefort et de Montlhéry dit Guy 1er de Rochefort 1103
http://chateaux-expo.blogspot.com/2017/06/un-seigneur-guy-le-rouge.html
À son retour de croisade en 1104, (presque cinq années tout de même après la fin des hostilités) auréolé de gloire, le même Guy le Rouge redevint sénéchal, il fit construire le château fort de Rochefort, l’église de Rochefort et l’église Saint Nicolas de Saint Arnoult en Yvelines.
Hélas sa seconde épouse, Elisabeth (alias Alix, etc…) de Crécy, qui l’avait attendu pendant ses huit années d’absence, décéda à Gournay, le 12 avril 1107, à 59 ans
Veuf, voulant se retirer à Rochefort, Guy décida de transmettre ses charges dont le sénéchalat et sa seigneurie de Gournay à son second fils Hugues de Crécy, qui hélas, confia la garde de Gournay à Hugues de Pomponnes dont le comportement fut totalement déplacé.
Le jeune roi Louis VI le Gros entretemps avait manœuvré pour faire annuler par le pape ses fiançailles organisées par son père Philippe 1er avec Lucienne, jeune fille de son fidèle vassal Guy 1er de Rochefort. La disgrâce de Guy était inéluctable, Louis VI le Gros était définitivement passé sous l’emprise d’Anceau de Garlande, l’ennemi juré de Guy le Rouge. Sur le prétexte des errements de Hugues de Pomponnes, le roi fit le siège de Gournay-sur-Marne [18] en 1107, Guy 1er de Rochefort s’y étant retranché avec son fil Hugues de Crécy.
Le roi l’emporta malgré le renfort des forces de Thibaud de Blois et de Chartres.
Siège de Gournay-sur-Marne illustré par Mahiet dans Les Grandes Chroniques de France British library
En punition, le roi déposséda Guy et son fils Hugues, du sénéchalat, de divers titres et possessions et de la seigneurie de Gournay qu’il confia à Anseau de Garlande, nouveau sénéchal qui avait déjà épousé en secondes noces Béatrice (alias Agnès) une belle fille de Guy le Rouge qui devint ainsi Béatrice de Gournay.
Anseau et Béatrice eurent une fille unique Agnès de Garlande, qui devint Dame de Gournay et de Gometz.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Anseau_Ier_de_Garlande
Pour expier et éviter la pendaison, Guy et Hugues endossèrent la bure de moine.
Guy 1er de Rochefort Le Rouge mourut dans l’année suivant cette disgrâce royale. Il fut enterré dans l’église du Prieuré de Gournay auprès de sa seconde femme Alix. Leur fils Hugues de Crécy, devenu moine bénédictin, fit une belle carrière monastique et fut pendant dix ans l’assistant du Prieur de Saint-Martin-des-Champs qui justement supervisait le prieuré de Gournay-sur-Marne.
Principales sources :
Archives de la Sté historique et archéologique de Noisy-Gournay-Champs à Gournay. 2024
Paroisse Saint Arnoult Gournay-sur-Marne
www.paroissesaintarnoult.fr/pages/nos-villages/saint-arnoult-en-yvelines.html
Le Roman de Gournay, Maryse Rivière LIV’ÉDITION, 2007
biblissima.fr
Les Grandes Chroniques de France illustrées par Mahiet
http://www.bl.uk/catalogues/illuminatedmanuscripts/ILLUMIN.ASP?Size=mid&IllID=43893
Sté historique de Saint Arnoult en Yvelines,
http://chateaux-expo.blogspot.com/2017/06/un-seigneur-guy-le-rouge.html
commons.wikimedia.org/wiki/File:Crépy-en-Valois_(60),_abbaye_Saint-Arnoul,_galerie_est_du_cloître,_statue_de_saint_Arnoul.JPG
Base des manuscrits enluminés de la Bibliothèque nationale de France : www.mandragore.bnf.fr
Cartographies anciennes de la bibliothèque nationale de France : www.gallica.bnf.fr
L’Archevêché de Paris Divisé en ses trois Archidiaconnez Et en ses deux Archiprêtrez Et sept Doyennez Ruraux. Dressé et mis au jour Par ordre de son Eminence Monseigneur le Cardinal de Noailles. Par Nicolas de Fer, 1728 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53227227h
Association Patrimoine et Avenir de Rambouillet Yvelines, https://parr78.fr/Wpress/wp-content/uploads/2020/03/parrchemin18-version-site.pdf
Conférence des évêques de France : www.nominis.cef.fr
Abbé Suger, Gesta Ludovici Grossi, éd. Lecoy de la Marche gallica.bnf.fr
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Le même Arnoult ou (Arnould) est fêté également à Marolles-en-Brie, à Crépy-en-Valois, à Varreddes, à St Arnoult en Yvelines, et Saint Arnoult de Formerie ( Oise) voir http://www.prieuredesaintarnoult.net/crbst_8.html ↑
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Le [Raincy dans le passé et le présent : essai de monographie cantonale / A.E. Fossard ; A.Hurtret (ill.). 1914 P60 ↑
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l’arianisme est une hérésie. ↑
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https://nominis.cef.fr/contenus/saint/12628/Sainte-Scariberge.html ↑
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la légende dit que Scariberge commandita l’assassinat de son époux car elle ne supportait plus la chasteté. ↑
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une sorte de péage, coïncidence anachronique, aujourd’hui Saint Arnoult en Yvelines est surtout connu pour ses bouchons au péage éponyme, dans l’autre sens, au retour des vacances dans l’ouest. ↑
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les carnutes, peuple celtique de la Gaule centrale. https://encyclopedie.arbre-celtique.com/carnutes-586.htm ↑
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lié à celui de Saint -Maur-des-Fossés ↑
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https://www.paroissesaintarnoult.fr/pages/nos-villages/saint-arnoult-en-yvelines.html ↑
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dans les documents de la Sté Historique et Archéologique de Saint-Arnoult Marie-Josèphe Houssinot et Jean-Claude Houssinot, La Ville de Saint-Arnoult-en-Yvelines, « un paysage retrouvé », éditions de la Tour Gile, 2007, 369 p. (ISBN 978-2-87802-433-3) ↑
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il y a une certaine logique, ne dit-on pas « qui va à la chasse perd sa place ». ↑
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Le droit de banalité fait obligation aux paysans d’amener leurs céréales à moudre au moulin titulaire du droit ↑
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en partie au-dessus de NGF 40m. ↑
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arbre généalogique des rochefort http://racineshistoire.free.fr/LGN/PDF/Rochefort.pdf ↑
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Arnolphiens = habitants de Saint Arnoult en Yvelines ↑
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https://parr78.fr/Wpress/wp-content/uploads/2020/03/parrchemin18-version-site.pdf P14 et 15 et P 25 CR de la conférence de J.Claude Houssinot de la Ste Historique de Saint Arnoult suivit du CR de la visite de l’église. ↑
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https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Crépy-en-Valois_(60),_abbaye_Saint-Arnoul,_galerie_est_du_cloître,_statue_de_saint_Arnoul.JPG ↑
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Selon Suger, historiographe royal de Louis VI le Gros in Abbé Suger,Gesta Ludovici Grossi, éd. Lecoy de la Marche gallica.bnf.fr vues 41 à 44 ↑