La longue vie du parc d’Heurtebise à Gournay-sur-Marne par Ève Golomer
« La longue vie du parc d’Heurtebise à Gournay-sur-Marne » par Ève Golomer a été initialement publié dans SHNGC – Chronique historique n°4 du 11/06/2021
Au centre de Gournay-sur-Marne, sur plus de 3000 ans, le parc d’une grande maison devenue petit château évolue à la fois avec la géographie du lieu, l’histoire de la ville et celle de la mode dans l’art des jardins. De différentes occupations antiques, puis de terres d’un prieuré en passant par un jardin privé à la française, le parc du Château d’Heurtebise, encore écrit d’Heurte-Bise sur des cartes anciennes, se transforme en parc à l’anglaise. Après la deuxième guerre mondiale, il devient ensuite un lieu bucolique de détente en société pour retrouver, de nos jours, un caractère privé, boisé et protégé.
Pour évoquer l’histoire du parc d’Heurtebise, en plus des textes d’archives et de l’archéologie, les cartes topographiques sont particulièrement démonstratives.
Alors, attachez vos ceintures, nous décollons au sud de la Marne et à l’est du château-mairie, pour voler au-dessus de la partie sud de la butte de Gournay dessinée, gravée ou photographiée à travers les siècles. Nous ferons quelques escales archéologiques et promenades paysagères, avant notre retour au XXIe siècle.
Les premiers contours du parc
La toute première carte topographique des environs de Paris gravée par Delagrive en 1731 et retrouvée dans les archives parvenues jusqu’à nous, fait apparaître la géographie initiale du parc qui figurera face au futur château d’Heurtebise.
A cette époque, ce terrain aux contours bien délimités, de forme trapézoïdale, faisait probablement partie de la grande propriété du Prieuré Saint-Martin-des-Champs de l’ordre de Cluny (Annick Desthuillers, 1982). Sur la carte, ces terres constituent un ensemble de parcelles, celle en haut à droite de la carte est effectivement reliée à un bâtiment entourant une cour du Prieuré. Une croix « pattée » spécifique a été gravée en deux endroits sur la carte de l’ensemble de ces terrains (repérés par des pointillés) : une sur la gauche (église paroissiale Saint-Arnoult, 1720), et une sur la droite (chapelle du monastère Saint Martin, 1599) dictionnaire Hurtaut, 1779. L’espace de ce terrain en trapèze figure au-dessus des lettres G, O, U (du mot Gournai).
De plus, en faveur de l’appartenance aux terres du fief du Prieuré, les pointillés à l’intérieur de ces parcelles les distinguent aussi bien du dessin des bosquets et des vergers que de celui des terres cultivées en jardins d’agrément ou de potagers. Sur cette carte, les zones céréalières apparaissent en tracés hachurés.
Extrait pour Gournay-sur-Marne de la feuille II de la carte topographique des environs de Paris / levée et gravée par M. l’abbé Delagrive en 1731
(© Département des cartes et plans, Gallica Bnf.fr).
La délimitation géographique du terrain du futur parc est simple à repérer car le tracé des voies se superpose au cadastre contemporain : à gauche de la lettre « G » de Gournai une route est tracée en direction nord-sud, c’est celle de l’actuelle rue des prés de Noisy. Elle borde le parc à l’ouest. Entre les lettres « U » et « R », une autre route porte le nom de l’avenue du Maréchal Joffre et Départementale 104 (anciennement chemin de Champs à Gournay), elle borde le parc à l’est.
Au nord de la parcelle en trapèze remplie de pointillés, cette avenue croise la rue des Prés de Noisy (anciennement chemin de Noisy à Gournay), juste à l’angle nord-ouest de l’ancien terrain. La route bordant le terrain au sud, et reliant ces deux voies (rue et avenue), qui elles ont traversé les siècles, ne figure plus de nos jours.
La fouille archéologique menée en 2017 à l’emplacement de l’ancien marché couvert de Gournay-sur-Marne (zone nord-est du trapèze de cette carte) et avant l’installation d’une Halle, a permis d’appréhender l’évolution de l’occupation d’un rebord de terrasse alluviale ancienne à l’abri des aléas des crues de la Marne.
L’occupation de cet endroit se développe depuis le Bronze final (de -1400 à -800 avant J.-C.) à nos jours (Sartou et coll., 2019).
Les parcelles à la française du château d’Heurtebise
La deuxième moitié du XVIIIe siècle voit apparaître, sur les cartes anciennes, la coupe d’un bâtiment qui n’existait pas sur la carte topographique gravée par l’Abbé Delagrive au début du XVIIIe siècle. Cela témoigne de la construction, à cette époque, du premier château. Il se situe sur le bord d’une route qui commence sur les bords de Marne au coin est de l’ile de Baubigny qui comporte le beau jardin créé du temps où Claude-Elisée de Court de la Bruyère en était propriétaire depuis 1719 après avoir été nommé, en 1715, premier maître d’Hôtel du Régent, Philippe Duc d’Orléans. En 1750, il était vice-amiral de la flotte du Ponant puis, il est décédé en 1752 à 86 ans (Rivière, 2008). Il aurait pu connaître le propriétaire d’Heurtebise, son château n’en était séparé que par la ferme.
L’atlas de Trudaine en 1744 montre, pour la première fois dans les archives, un bâtiment longiligne (couleur rose) dont la façade, côté est, donne sur un grand parc en forme de trapèze. Sur cette surface sont dessinées, 3 rangées régulières de 5 carrés face à la ligne de bâtiments longeant une route bordée d’arbres qui entoure à l’ouest un plus grand domaine, celui de la ferme. Le Prieuré est situé au nord est (en bas à droite de la carte). En référence à une étude sur le domaine de Ville-Evrard, ces carrés réguliers sur la carte de Trudaine 1744 représentaient ceux d’un jardin potager (Golomer, 2014).
Extrait pour Gournay-sur-Marne, en 1744, de l’Atlas de Trudaine pour la généralité de Paris (1743-1763) 2e volume, Route n°XV,
BNF, Département des Cartes et Plans, GE CC-322 (II, RES).
L’orientation générale de cette carte est déviée vers l’est par rapport à celle de Delagrive et les autres cartes plus contemporaines mais on retrouve la surface en trapèze et les deux voies.
Cependant, quelques carrés potagers tracés en 1744 évoluent en parterres d’agrément car sur une autre carte, dressée aussi par Trudaine, environ 6 ans plus tard, apparaît le dessin d’un jardin à la française. Ainsi, 4 parterres dans la moitié sud face à la façade des bâtiments et un autre jardin ayant une pièce d’eau rectangulaire, sont aménagés le long de la route « Grande rue » qui mène à la Marne.
A gauche de ce bassin rectangulaire, un point foncé pourrait être le puits artésien que Maryse Rivière cite, page 194, dans son ouvrage en 2008.
Un deuxième puits artésien, situé face au château-mairie, a été photographié avant sa disparition en 2013 (page 10).
Extrait centré pour le parc d’Heurtebise du plan gravé de l’Atlas de Trudaine, vers 1750-1763
reproduit par photo d’après les Archives Nationales, F14/10160 n°36 (© Centre de documentation Jacques Guillard. SHNGC).
En 1666 Guillaume Favières, maçon à Noisy-le-Grand, acheta la propriété, puis en 1669, Etienne Guillaume Favières et Edmé Tranquille Favières frères, furent propriétaires du temps de la première carte de Trudaine selon « le tableau des propriétaires du château d’Heurtebise © Mélanie Macouin, Evéha 2019 ». Ensuite, en 1718, Edemé Tranquille Favières est désigné comme seigneur d’Heurtebise. Cette famille vendit en 1754 au couple Gaspard Nicolas Braier de La Motte de Rieux, et Marguerite Pajot.
A partir de ces recherches documentaires, le tableau des propriétaires permet de comprendre la transformation du parc de superficie de 3 quartiers, soit 3,4 ha. De potager, l’architecture du parc évolue vers celle d’un jardin d’agrément afin « d’anoblir » la propriété. Le Chevalier Gaspard Nicolas Braier de La Motte de Rieu était aussi propriétaire, à Rieux en Normandie, d’un somptueux manoir en briques et pierres.
De plus, les fouilles archéologiques récentes ont mis en évidence l’aménagement d’un parc à la fin du XVIIe siècle (Sartou et coll., 2019) : un double alignement de fosses de plantation distant de 6 m pourrait indiquer l’existence d’une allée bordée d’arbres. Les dimensions moyennes des fosses de plus de 1 m permettent d’envisager la plantation d’arbres déjà assez grands et l’analyse des entraxes entre les fosses permet de restituer une envergure moyenne des arbres de l’ordre de 3 m ou 3,20 m.
« Vue de Gournay prise de l’avenue qui conduit à la rivière en venant de Noisy »
Dessin à la pierre noire réalisé par Jean Pillement (paysagiste, peintre de la Reine) en 1770, (Département des cartes et plans © Gallica.Bnf.fr).
Sur la droite de ce dessin paysager, une rangée d’arbres est dessinée jusqu’au chemin tracé d’ouest en est sur les cartes (de gauche à droite sur ce dessin). Cette voie transversale relie le chemin de Noisy à Gournay (actuelle rue des prés de Noisy) au chemin de Champs à Gournay (actuelle avenue maréchal Joffre).
Juste après ces arbres, en 1770, les bâtiments du château d’Heurtebise s’alignent, côte à côte du sud au nord, directement sur le bord de ce chemin, et ils apparaissent en trois parties. La première ressemble à une grande maison avec trois fenêtres à « la Mansart », elles seront en plus grand nombre en 1943 sur la carte postale ancienne qui représente la façade côté jardin du corps de logis principal du dernier château. Un deuxième bâtiment, plus étroit et en hauteur, lui fait suite avec un toit à deux pentes, perpendiculaire au précédent, il apparaîtra dessiné, bien plus tard, sur l’affiche de la Guinguette (page 13).
Dans l’acte de vente du 10 mai 1766, la propriété est décrite comme « une grande maison a porte cochere, vulgairement appellée d’Hurtabize scize au village de Gournay sur Marne, grande rue dud. lieu, jardin dependant de lad.maison et qui est clos de murs. ». La porte cochère pourrait se situer derrière l’arbre au niveau du bâtiment étroit. En plus « deux pieces de terres en prez contenant six à sept arpents plus ou moins » (Arch. Nat. MC, ET/LVII/473). Cette description du parc correspondrait aux carrés de terre cultivés en potagers et observés sur la première carte de l’Atlas de Trudaine en 1744. Avant 1763, une partie a évolué en jardins d’agrément.
Le troisième bâtiment est plutôt massif avec un toit à deux niveaux et quatre pentes terminé par une cheminée. Ce toit évoque la couverture en pagode du château de Jossigny en Seine-et-Marne construit par Jacques Ardouin Mansart de Sagonne selon l’architecture en rocailles des années 1730-1750 (Brisseux, 1743, Cachau 2011-2012). Cependant, ce bâtiment pourrait faire partie des dépendances avec une grande grange à deux étages, esthétiquement soignée car directement sur le carrefour du centre de Gournay et d’une des rues principales.
Le parc « à l’anglaise » : une première élaboration
Durant la période pré et post révolutionnaire, la cartographie de la région de Gournay-sur-Marne ignore la ville et ses environs en arrêtant ses limites géographiques, juste à l’est de Noisy-le-Grand. Aussi la datation de la transformation du parc dans le style à l’anglaise demeure imprécise.
Le tableau des recherches documentaires de Mélanie Macouin (2019) permet de suivre la liste des propriétaires avec la lignée des nobles (archives de notaires parisiens) qui se poursuit durant la période post-révolutionnaire. Ainsi, en 1802 : Julie Catherine Laval épouse Bruyères de Chalabre, puis en 1809, Antoinette Françoise Marie Nompart de Caumont Laforce épouse de H. C. Guigues de Moreton de Chabrillan.
Sur une carte en 1820, un nouveau parc est dessiné suivant l’art des jardins dont la mode est « à l’anglaise ». Ses allées sinueuses serpentent à travers toute la surface du trapèze entre des pièces d’eau irrégulières.
Extrait des Dessins Minutes de la Carte de France d’Etat Major tracée en 1820 (© Geoportail93.fr).
Il apparaît, deux pièces d’eau triangulaires, de couleur claire comme celle de la Marne, une au centre et à l’intersection des allées et une autre à l’extrémité est.
Sur cette carte, des points sombres, au sein des parterres du jardin à l’anglaise, pourraient correspondre à des fabriques de jardin en pierres comme des colonnes de fausses ruines ou un petit temple, un pavillon exotique voire un belvédère qui seront conservés, plus d’un siècle après, pour décorer le parc de la guinguette.
Par ailleurs, au sud-ouest du parc, une surface encore vierge de détails est délimitée par des traits en pointillés en bas de la carte. Cette partie de forme quadrangulaire figure sur un plan d’intendance ébauché en 1809 comme étant le Pré aux bœufs. Cette zone pré-figurative de l’extension du parc d’Heurtebise pourrait avoir été acquise par les propriétaires du début du XIXe siècle. En effet, un siècle après ce tracé pointillé, le parc à l’anglaise s’étend vers le sud exactement à cet endroit.
Extrait du plan cadastral de 1819. Section A, patrimoine.seinesaintdenis.fr pour l’étude documentaire © de Mélanie Macouin en 2019
- Prieuré de Gournay
- Château seigneurial
- Ecuries, étables, locaux ancillaires
- Eglise paroissiale
- Château d’Heurtebise
- Grande rue
- Ferme de Gournay
- Emplacement approximatif de l’emprise de fouille (tracé rouge marqué en pointillés par l’auteur)
Le mur situé à l’extrême ouest de la limite des fouilles sur le terrain des futures Halles de Gournay (Sartou et coll., 2019) a pu être suivi par les archéologues sur une longueur de 12,13 m et il se poursuit en dehors de l’emprise vers l’ouest. Son tracé suit celui de l’avenue du Maréchal Joffre qui reprend elle-même le tracé de l’ancien chemin de Champs à Gournay. Il est fondé sur au moins 0,50 m et reprend le même tracé que le fossé augustéen (empereur romain Auguste, 27 avant J.-C. -14 après J.-C.).
Cette découverte marque ainsi une pérennité des limites parcellaires et sans doute également de l’axe de circulation.
En remontant les siècles, dans une autre fosse creusée au bord nord-ouest, une fouille a permis de découvrir un pot en céramique contenant les os reliés d’une poule complète associée à une obole bourgeoise de Philippe V frappée en 1311.
La deuxième étape : le parc « à l’anglaise » s’étend
C’est sur une carte de 1879 qu’apparaît un nouveau parc à l’anglaise de dimensions supérieures de moitié au précédent, soit une surface totale de près de 7 hectares car il s’étend au sud du parc, le long de l’actuelle rue des Prés de Noisy.
Le parc se développe vers le sud sous forme de massifs arborés et de bosquets
(carte topographique à l’échelle 1/6771, établie en 1879, © Géoportail93, Département de Seine-Saint-Denis).
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l est à noter que cette carte topographique, comportant des courbes de niveau où des géomètres ont mesuré le modelé du terrain sur une superficie déterminée, précise les différentes hauteurs du terrain par rapport au niveau de la Marne. Ces courbes permettent d’expliquer le nom donné à ce château.
Le domaine d’Heurtebise est construit sur un plateau dominant la ville sur la courbe de niveau « 40 » au-dessus du niveau de la Marne. Heurtebise serait le toponyme donné aux « lieux surélevés où souffle la bise » tel le vent du nord (Généanet). L’extension vers le sud, se serait faite naturellement afin de rechercher une zone à moindre vent en descendant de la butte de Gournay, tout en restant à distance des crues de la Marne.
Cette situation géographique en hauteur a été recherchée par les peuplades anciennes dont la vie a été mise en évidence par les fouilles archéologiques récentes.
Ainsi, à la Tène finale (second âge de fer, 450 à 25 avant J.- C.), la butte de Gournay a été manifestement occupée. Une des fouilles a livré un abondant mobilier lié à des activités domestiques (éléments de parure), artisanales (notamment un lot de pesons triangulaires) et agricoles (forces et serpette) (Sardou et coll., 2019).
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Carte des Plans Directeurs de la Région de Paris au 1/8500 tracée en 1936 (© Géoportail93, Département de Seine-Saint-Denis).
A cette date, il n’y aurait plus de pièces d’eau au sein du parc d’Heurtebise (couleur bleue) alors qu’elles sont bien visibles dans d’autres domaines de Gournay.
Le tracé des voies de circulation est réduit à de grandes allées bordées d’un bosquet s’étendant en haut de cette carte et latéralement. Le côté est du parc comporte un damier en carrés, peut-être ceux d’un potager, relégué au fond de la propriété car considéré d’un agrément limité, tout en ayant une meilleure exposition ?
Les courbes de niveau, non seulement expliquent la terminologie du lieu d’Heurteubise mais confirment que les premiers habitants avaient choisi de s’établir en hauteur, au-dessus du niveau de la Marne. De plus, compte tenu des découvertes archéologiques effectuées sur la commune de Gournay, le quartier du Ier siècle pourrait s’étendre sur une surface de près de 7 hectares essentiellement concentrée au niveau de la butte de Gournay, à l’abri des risques de crues (Sartou et coll., 2019).
Au début du XVIIe siècle, se développe un nouvel ensemble de bâtiments le long de l’ancien chemin de Champs à Gournay, donc à l’est du domaine. Ceux-ci pourraient correspondre à des dépendances agricoles d’une propriété foncière mentionnée en 1669 et implantée sur les mêmes parcelles que le château d’Heurtebise au milieu du XVIIIe siècle (Sartou et coll., 2019).
Le bâtiment du château d’Heurtebise
Carte postale ancienne (© collection particulière) montrant la façade « côté jardin » du principal bâtiment de la propriété privée du Château d’Heurtebise avant 1943.
Le relief du fronton central, au-dessus de la porte-fenêtre d’entrée, sera repérable sur la vue aérienne de 1955, page suivante. De même, il sera retrouvé ce grand espace gazonné. Les massifs végétaux sont circulaires et décorés par des fleurs probablement de couleurs contrastées qui sont aussi retrouvées en bordures.
Bien que le château ait été construit sur une butte, l’histoire relate (Gournay infos, N°8, juin 2016) que, lors de la crue de la Marne en 1910, l’eau était arrivée jusqu’au milieu du village, atteignant l’église et la ferme, le château avait même les pieds dans l’eau !
Au rond-point de la mairie de Gournay, aperçu du bassin à jet d’eau d’un des puits artésiens, remplacé fin 2013 par un parterre de buis. Cette pièce d’eau était placée dans l’axe de l’entrée du château-mairie au fond d’une allée d’arbres.(Cliché réalisé avant 2013 © fonds documentaire Jacques Guillard SHNGC).
Il est ainsi possible d’imaginer un autre puits, creusé à la même époque, vers 1763, au début du réaménagement en jardin d’agrément de la partie nord du parc d’Heurtebise et figurant sur la carte de Trudaine.
Extrait d’une vue aérienne du domaine du Château d’Heurtebise en 1955 (échelle 1/3385 IGN © Géoportail93.fr) où le toit et la structure architecturale centrale de la façade avec fronton triangulaire central, sont bien distingués en relief comme sur la carte postale ancienne d’avant 1943 (au nord-ouest du bosquet). Les bâtiments des dépendances sont aussi présents.
A notre connaissance, ce témoin iconographique du bâtiment du château, de près de 30 mètres de long, et de son jardin gazonné, se profilant dans l’axe de sa façade, serait le dernier en date. Le parc est encore arboré de la même façon que sur la carte topographique dessinée en 1936. Devant la façade côté jardin, apparaît une grande esplanade dallée ou maçonnée où les massifs de plantes sont peu visibles.
La guinguette et ses activités bucoliques, qui font l’objet des pages suivantes, avait cessé de fonctionner depuis plus de 5 ans.
Le lieu champêtre d’une guinguette chic
La propriété privée s’ouvre aux habitants de Gournay-sur-Marne : durant la deuxième guerre mondiale, les caves du Château d’Heurtebise sont utilisées comme abris anti-aériens. Gournay n’en a, heureusement pour ses habitants et son patrimoine, pas trop souffert.
A la fin de la guerre, en 1946, les habitants de l’Ile-de-France ressentent le besoin de se « déconfiner ». Le mot n’existait pas à cette époque mais l’idée y était : retrouver le goût des plaisirs bucoliques de déjeuner dans un cadre agréable et de danser en toute liberté en présence d’un orchestre.
Le château et le parc d’Heurtebise sont alors rachetés par une société pour devenir une guinguette. Jacques Guillard (1927-2010) nous décrit cet endroit situé le long de l’avenue Georges Clémenceau qu’il a connu au début de sa jeunesse : La Guinguette d’Heurtebise.
« Dans le château, une grande salle pouvant servir de salle de banquet et salle de bal avec une décoration luxueuse, une terrasse aménagée devant transforme les fenêtres en portes-fenêtres et permet de danser et manger également dehors. C’est un grand bâtiment vitré, en bois avec piste de danse et tables avec bancs. »
Le parc à l’anglaise qui cachait ses éléments décoratifs dans une propriété privée depuis plus d’un siècle, les révèle alors aux invités de ce domaine ouvert au grand public :
« Un petit théâtre de verdure et dans le joli parc avec futaies, allées et petites rivières, bassins et petits ponts ».
L’architecte chargé de l’aménagement du site a su harmoniser le mobilier avec ces décors champêtres : « A l’extérieur sont installées des petites tonnelles en treillis de bois avec au milieu une petite table ronde entourée de banquettes ».
Le Château avec son « bar américain », sa bonne cuisine, son hôtel et parfois l’orchestre Deprince, a une fréquentation chic et le style dancing est de rigueur.
Maryse Rivière (2008) précise le nom de quelques personnalités médiatiques de la chanson comme Henri Salvador, Edith Piaf, et du monde littéraire, comme Pierre Mac Orlan et Auguste Le Breton, les musiciens Georges Jouvin et Claude Luter ainsi que l’acteur Michel Simon.
Cette affiche est publicitaire (© collection particulière, Guinguettes & restaurants des bords de Marne transmis à la Société Historique de Noisy-le-Grand Gournay-sur-Marne et Champs-sur-Marne).
Le château d’Heurtebise est dessiné avec des éléments du parc à l’anglaise dont 3 colonnes d’un kiosque à musique évoquant un temple antique.
Le propriétaire de ce domaine attractif arrêta ses activités après 4 ans environ, vers 1950, puis, sans entretien, le château et son parc se dégradèrent peu à peu. Jacques Guillard connut sa démolition en 1969 et constata qu’elle se fit au grand regret de nombreux Gournaysiens.
Contraste avec une période où seuls les arbres sont mémoire du site
Extrait, en 1981, d’une vue aérienne du domaine qui témoigne de l’emplacement complètement vide de l’ancien château d’Heurtebise, progressivement déconstruit depuis 1969 ainsi que les bâtiments de ses dépendances, les jardins ont aussi disparu (échelle 1/3385 IGN © Géoportail93.fr).
Le parc arboré demeure bien présent avec ses arbres et arbustes qui empiètent sur la partie centrale anciennement gazonnée. En 1965, une partie des jardins et du parc sera vendue au niveau de la zone nord-est pour permettre la création du marché couvert dont la toiture est visible avec ses tries alternées claires et sombres. Un terrain de sport, existant encore de nos jours, longe la partie sud-est du bosquet.
L’ancien marché couvert de Gournay-sur-Marne est situé à l’endroit du potager historique du Château d’Heurtebise. Le jardin potager a été le jardin le plus souvent présent dans cette zone de l’extrémité nord-est du parc historique figurant sur les cartes à travers les siècles.
Une renaissance contemporaine : le Clos d’Heurtebise
D’après une vue aérienne à la fin du XXe siècle, le domaine du parc avec ses vestiges végétaux aurait été loti vers 1987 par un complexe immobilier portant le nom du Clos d’Heurtebise. De plus, une zone boisée avec des allées a été protégée. Autour de ce bosquet et plutôt orientées vers l’ouest, des maisons à un étage et aux toits de tuiles roses constituent un petit village.
Vue aérienne composée avec Google Earth (© Image Landsat/Copernicus, 2021).
Cette vue permet de mettre en évidence le lieu des résidences privées du Clos d’Heurtebise qui entourent le bosquet protégé représentant la partie végétale de l’ancien parc.
Le pont de Gournay est reconnaissable au centre de la partie supérieure de ce cliché. En dessous, la Marne apparaît comme un ruban bleu entre les arbres.
Depuis 2020, la municipalité de Gournay a donné à une allée le nom du président fondateur de la Société Historique de Noisy-le-Grand, Gournay-sur-Marne, Champs-sur-Marne et Archéologique de Marne-la-Vallée : l’allée Jacques Guillard.
Cette allée ceint, au sud, le complexe d’habitations dit Résidence intergénérationnelle. Il forme un cube présent au-dessus de la Halle du marché de Gournay qui a été inaugurée le 19 septembre 2020.
Tout en haut, à droite de cette carte en trois dimensions, cette allée est remarquée : elle se situe au sein de l’ancien parc du domaine d’Heurtebise. Du fait de la pérennité des voies entourant ce domaine, les archéologues ont bien cerné le parc lors des fouilles précédant la construction des Halles.
Cet angle de vue (vue aérienne à orientation plus ouest que la réalité et composée avec Google Earth © Image Landsat/Copernicus, 2021) recrée l’ambiance du dessin de Pillement en 1770 vu plus haut.
L’artiste s’était placé proche du chemin de Noisy à Gournay, ici en bas de la rue des Prés de Noisy. Cette rue arrivait au centre-ville, l’église était aperçue en haut à gauche. Il y avait le long de la rue, sur la droite, les bâtiments du château, actuellement remplacés par une rangée de maisons individuelles. Le jardin actuel, au coin de la rue, est un aménagement « à la française », clin d’œil pour atterrir au XXe siècle avec le souvenir du parc du château d’Heurtebise.
Remerciements
Au responsable et à l’équipe de la bibliothèque du Centre de documentation Jacques Guillard (Société Historique de Noisy-le-Grand, Gournay-sur-Marne, Champs-sur-Marne et Archéologique de Marne-la-Vallée).
À Roland Cardot, responsable de rédaction des publications éditées par la Société Historique de Noisy-le-Grand, Gournay-sur-Marne, Champs-sur-Marne pour sa relecture attentive du manuscrit.
Références
Bauchet Olivier, Gournay-sur-Marne, Avenue du Maréchal Joffre (IDF, Seine-Saint-Denis, 93), Rapport de diagnostic, Inrap CIF, Service Régional de l’Archéologie d’Ile-de-France, juillet 2016.
Charles-Etienne Briseux, L’art de bâtir des maisons de campagne, où l’on traite de leur distribution, de leur construction et de leur décoration, Chez Prault père, 1743, 2 tomes, 160 pages, notice FR BNF 40405180.
Philippe Cachau : Le château de Jossigny : une réalisation pittoresque de Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne (1753) 1ère partie, Cahiers d’histoire de l’art, n° 9, 2011, p. 52-71.
Philippe Cachau : Le château de Jossigny : une réalisation pittoresque de Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne (1753) 2ème partie, Cahiers d’histoire de l’art, n° 10, 2012, p. 60-74.
Annick Desthuilliers, Le Prieuré de Gournay, Bulletin N°1, de la Société Historique de Gournay-sur-Marne, Champs-sur-Marne, Noisy-le-Grand, édité par le Service du Patrimoine Culturel de la Seine-Saint-Denis, 1982.
Eve Golomer, Le parc et les jardins des châteaux de Ville-Evrard – Bulletin n° 17 de l’Association François-Xavier Donzelot, 2016, pages 1-45.
Jacques Guillard, notes de recherches sur le château d’Heurtebise de Gournay-sur-Marne de 1995-2008, bibliothèque du Centre de documentation Jacques Guillard (Société Historique de Noisy-le-Grand, Gournay-sur-Marne, Champs-sur-Marne et Archéologique de Marne-La-Vallée).
Jacques Guillard, traduction en français du texte latin, Cartulaire du prieuré de Gournay-sur-Marne, XIIe et XIIIe siècle, Société Historique de Noisy-le-Grand, Gournay-sur-Marne et Champs-sur-Marne.
Jacques Guillard, « L’origine des seigneuries et des fiefs de Gournay-sur-Marne, Champs-sur-Marne, Noisy-le-Grand », Bulletin de la SHNGC, n°2005-01, p. 6-15.
Jacques Guillard, représenté par la Société Historique de Noisy-le-Grand, Gournay-sur-Marne, Champs-sur-Marne et Archéologique de Marne-La-Vallée dans Gournay infos, N°2, décembre 2014, page 20.
Pierre-Thomas-Nicolas Hurtaut, Gournay-sur-Marne, Dictionnaire historique de la ville de Paris et ses environs, Volume 3 A, 1779, page 155.
Ivan Lafarge, Gournay-sur-Marne, Seine-Saint-Denis, DFS de fouilles d’évaluation archéologiques, Epinay-sur-Seine : Département de la Seine-Saint-Denis, mission archéologie, Saint-Denis : Service Régional d’Archéologie, 20-02-2001, 23-02-2003.
Mélanie Macouin, Gournay-sur-Marne (93), Avenue du Maréchal Joffre, Étude documentaire, Èveha Etudes et valorisation archéologique, août 2019, 13 pages.
Maryse Rivière, Le roman de Gournay, sous l’égide de la Société Historique de Noisy-le-Grand, Gournay-sur-Marne, Champs-sur-Marne et Archéologique de Marne-la-Vallée, Liv’Editions, 2008, p. 125-138 et 273-274.
Aurélien Sartou, direction du Compte-rendu final du chantier de fouilles, Gournay-sur-Marne (93), Avenue du Maréchal Joffre, Èveha Etudes et valorisation archéologique, août 2019, 600 pages.
Édité par la Société Historique de Noisy-le-Grand, Gournay-sur-Marne, Champs-sur-Marne
et Archéologique de Marne-la-Vallée – Association Loi 1901 – RNA W771001384
Siège social à Gournay-sur-Marne (93460), rue Ernest Pécheux, n°3
Directeur de publication et responsable de la rédaction : Roland Cardot, président de la SHNGC
ISBN en cours – 29-12-2020