Quand la Marne avait ses vapeurs à Gournay
Quand la Marne avait ses vapeurs
Synopsis : Des pionniers de la navigation à vapeur remontaient la Marne le plus loin possible à partir du Port de Gournay-sur-Marne.
C’était avant l’existence du canal de Chelles et du barrage de Noisiel. Aujourd’hui la Marne de Neuilly à Vaires n’est plus naviguée
le bateau « Le Parisien » sur la Saône, voir note [1]
Des marins très culottés remontèrent les « rapides » de la Marne en bateau à vapeur
sans attendre la création du canal de Neuilly à Vaires[2], douze ans plus tard.
Départ : Pont de Gournay Destination espérée : Chalons sur Marne
« L’État[3] a fait creuser le canal de Chelles, à partir de 1848 par des employés des Ateliers nationaux. Les Ateliers nationaux étaient une organisation destinée à fournir du travail aux chômeurs parisiens après la révolution de février 1848. L’État intervenait directement en fournissant, en organisant et en payant le travail. Complètement dépassé par la demande des hommes et le manque de travail, cette organisation n’a duré qu’à peine quelques mois en 1848.
Les travaux du canal de Chelles ont été abandonnés faute de financement puis repris sous le Second Empire, les travaux faisant l’objet d’adjudications. Le canal de Chelles n’a été mis en service qu’en 1865.
Le canal de Chelles permettra une navigation très tranquille. En effet, la Marne présente entre Noisy le Grand et Vaires des méandres dangereux, un parcours encombré d’îles et de moulins et une « chute » vertigineuse. »
En attendant les cerveaux bouillonnaient d’idées pour développer la navigation à vapeur
Voici le récit enthousiaste d’une de ces aventures qui fut publié dans le Journal de Seine-et-Marne, à Meaux le 12 Maris 1853
Vu sur retronews.fr
APPLICATION DE LA VAPEUR A LA NAVIGATION DE LA MARNE.
Une curieuse épreuve a eu lieu samedi sur la Marne. Il s’agissait d’en faire remonter le cours à un bateau à vapeur chargé de marchandises, sans recourir pour les passages difficiles à l’emploi coûteux et embarrassant de chevaux de halage. On conçoit que le succès de cette épreuve n’intéresse en rien le transport des voyageurs. Sous ce point de vue, une vitesse d’environ 11 kilomètres à l’heure en remontant, et du double à peine en descendant, n’a aucune prétention de rivaliser avec la vitesse d’un chemin de fer ; mais quels avantages pour le commerce, l’industrie et la propriété peut offrir le transport économique par la navigation qui réunira une célérité convenable à la régularité !
Plus que beaucoup d’autres rivières, la Marne présente de grandes difficultés, les unes naturelles et les autres artificielles. Hauts fonds, rapidité, longs circuits, sont les principales difficultés naturelles. Afin d’obvier autant que possible à la rapidité du cours, et pour conserver aux eaux une hauteur indispensable, on a dans certains endroits du lit de la rivière établi des barrages qui élèvent le niveau de l’eau supérieure : ces barrages font une interruption dans l’espace seulement nécessaire au passage des bateaux, c’est cette interruption que l’on appelle pertuis ; l’eau resserrée dans ce pertuis s’y précipite en nappe rapide et bouillonnante, formant une chute de 50 à 80 centimètres. Ce sont-là, avec quelques usurpations d’usines, les difficultés artificielles.
Les tunnels de St-Maur et de Chalifert, ont abrégé de longs circuits ; les canaux latéraux et des écluses remédieront dans un avenir plus ou moins éloigné aux hauts fonds et aux pertuis ; mais déjà, tout incomplets qu’ils soient, les travaux d’amélioration exécutés ont permis de réaliser d’une manière toute satisfaisante l’expérience dont il est ici question.
Au mois de novembre 1851 une première épreuve avait été tentée avec un des bateaux qui font depuis
deux ans avec le succès le plus complet un service de transport entre Paris et Rouen, descendant à Rouen
en un jour (près de 60 lieues par la Seine ) et remontant chargés en un jour et demi, Mais ce bateau
qui n’était pas destiné à notre rivière, était un peu trop long pour les écluses du canal latéral à la haute
Marne et pour celles du canal de la Marne au Rhin ; il ne pouvait aller au-delà d’Epernay. En outre il
lui fallait pour remonter les pertuis un renfort d’une quinzaine de chevaux au moins.
M. l’Ingénieur en chef de la navigation de la Marne conseilla d’installer sur un bateau réduit à la longueur convenable, un treuil sur lequel au besoin la puissance de la machine elle-même enroulerait un cable préalablement fixé à un pieu en amont du pertuis. C’était donc un bateau disposé dans de telles conditions qu’il s’agissait d’expérimenter, solide et léger bateau en tôle, de 36 mètres de longueur, pouvant porter 70 tonneaux (le chargement de 17 wagons complets) pourvu d’une machine à basse pression de la force de 12 chevaux, fort ingénieusement disposée, dont les ailes placées à l’arrière ne dépassent point la largeur de la coque.
Il était venu le vendredi 5 de ce mois se placer en aval du pont de Gournay ; samedi matin, MM. Fournier et Lavaux, M. l’Ingénieur en chef de la navigation de la Marne, un Ingénieur ordinaire, des Conducteurs, M. Gâche constructeur du bateau, M. Piot entrepreneur de transports sur Rouen, et quelques personnes invitées, le montèrent, et à 9 heures et demie il prit sa course vers Meaux. Course curieuse vraiment, voyage fécond en émotions et en impressions, qui toutefois aujourd’hui doivent le céder dans un récit sérieux au simple exposé des faits.
A peu de distance du point de départ, au moulin de Chelles, existe un rapide qu’un effort de la machine surmonta bravement, puis après avoir serpenté entre des iles qui doivent offrir l’été un délicieux aspect, le bateau se trouva en face de son premier et de son plus sérieux obstacle, en face du pertuis de Noisiel[4].
Il y avait là toute une étude à faire, elle eut lieu suivant la plus ordinaire formule :
« D’abord il s’y prit mal, puis un peu mieux, puis bien. »
Si nous passions sans le secours du treuil ?
Essayons. Le pilote fort au courant de la rivière, mais habitué à la lenteur uniforme des chevaux de remonte, est dérouté par la fougue de la vapeur ; il donne de l’avant contre l’estacade, fait une voie d’eau, et retombe de l’arrière contre la berge qui fracasse un des tambours, et nous voilà désemparés. On s’en va à la dérive trouver dans les parages voisins un havre convenable. On se procure une nacelle, un cric ; le mécanicien a quelques outils, et au bout de trois quarts d’heure les avaries sont réparées provisoirement.
Un autre pilote, vieux routier de la Loire, prend la roue du gouvernail. Cette fois il marche droit sur la chute, le bateau s’enlève, il va passer ! il passe !
— Hélas non. Au moment où l’arrière se redresse par un effet de bascule, les ailes n’ont plus assez d’eau, elles tournent presque à vide, le bateau est repoussé et retombe au pied de la terrible brèche dont il a trop imprudemment tenté l’assaut. Il fallait donc plus modestement mais plus sûrement recourir au treuil. En un instant un solide câble en fil de fer est amarré à un pieu sur la rive, un mécanisme spécial saisit le treuil, les roues s’en grènent, le câble se tend, le bateau monte, monte, lentement mais irrésistiblement sur cette nappe furieuse, au milieu de ces vagues écumantes. Pas un moment d’hésitation, point de temps d’arrêt, point d’emportement, le calme de la force, la précision du calcul. Les ingénieurs, la montre à la main, suivent le mouvement, en treize minutes tout est accompli : Noisiel est franchi. Victoire !
Le vapeur à aube en marche arrière dans des eaux tranquilles
Un peu plus loin se présente le pertuis de Doue, ce n’est plus rien après le précédent, en un instant le treuil en a fait justice. Mais plus loin encore, voilà le vieux pont de Lagny, qui se couvre tellement de monde accouru à la vue de cet hôte insolite de la Marne, un bateau à vapeur, que l’autorité craint pour les vieux supports vermoulus du pont qui ont l’air de le soutenir comme les béquilles d’un vieillard infirme : on fait évacuer la foule.
La prise d’eau de deux moulins resserre le chenal en cet endroit, c’est encore une chûte. On eut le tort de la mépriser, on l’aborde à pleine vapeur, mais les eaux un peu hautes ont rendu la chute plus redoutable qu’on ne le pensait, le bateau est encore repoussé. Il faut revenir au treuil un instant dédaigné et qui avec son imperturbable calme exécute lentement et froidement ce que n’avait pu accomplir l’audace.
Maintenant c’est le barrage de Quinquengrogne, et une partie de la population de Dammart accourant dans la boue, sous la pluie, et faisant ainsi un quart de lieue, pour voir ce prodige inouï sur la Marne, un bateau franchissant le pertuis tout seul sans le secours des chevaux. Il le franchit en effet, et tout était dit dès lors, il ne restait que le passage facile et prompt de deux écluses et du tunnel, et une navigation sur les eaux placides du canal latéral. Toutefois dans les parages de Mareuil, le tambour disloqué se détraque de nouveau, le bateau blessé ne court plus il se traîne, mais qu’importe, il est victorieux ! Il pourra toujours bien, un peu tard il est vrai, gagner Meaux ou ses avaries seront aisément réparées.
Elles l’ont été le lendemain, et le surlendemain il repartait pour Chalons où l’attendait un chargement de trente mille bouteilles de vin de Champagne qu’il a rapportées à Mary pour les bateaux de l’Ourcq, puis il est reparti pour remonter jusqu’à Nancy. Ce sera là cette fois le point extrême de sa course, mais un peu plus tard MM. Fournier et Lavaux comptent bien le conduire jusqu’à Strasbourg, d’où il viendra faire un service direct sans transbordement jusqu’au Havre.
photo d’une péniche à vapeur et à aubes latérales sur le Rhone www.pnich.com
Et qui sait si quelque jour le projet conçu par Charlemagne, il y a déjà mille ans, de joindre le Rhin au Danube, venant à être exécuté, il ne prendra point à Paris un chargement direct pour Vienne ou Constantinople ? En attendant il a une belle et fructueuse carrière à ouvrir, il faut l’espérer, juste dédommagement d’intelligents et énergiques efforts.
A. Carro.
P. S. — Je reçois à l’instant quelques détails sur le voyage au-delà de Meaux.
Lundi, parti à 9 heures de Meaux, le bateau s’est arrêté deux heures à Mary et est parvenu à Nogent l’Artaud, après avoir parcouru 70 kilomètres.
Mardi, il est allé coucher à Chalons, ayant parcouru 65 kilomètres en rivière et 34 sur le canal latéral, total 99 kilomètres. Les écluses étaient généralement franchies en 4 minute et les pertuis en 10 ou 12.
Le mercredi a été en grande partie employé à Chalons au déchargement et au rechargement ; le soir le bateau est venu coucher à Dizy, 34 kilomètres ; et jeudi, parti à 6 heures 1/2 du matin, il était au confluent de l’Ourcq près de Mary, à 2 heures, ayant ce jour-là parcouru en descendant 126 kilomètres.
Le difficile problème de la navigation à la vapeur sur la Marne a ainsi été résolu autant que le permet l’état actuel de la rivière, au milieu de l’enthousiasme des populations riveraines accourant de toutes parts sur le passage du bateau, apportant des bouquets au nouveau venu et le fêtant par des détonations de fusils, les vieillards attestant leur grand âge, que jamais chose pareille ne s’était vue et n’aurait été crue possible un bateau remontant la Marne tout seul; d’autres disant : « C’est le chemin de fer sur l’eau» et tous pressentant pour la contrée une phase nouvelle de prospérité..
A. C.
À propos des pionniers de la navigation à vapeur sur la Marne :
L’aventure industrielle avaient été initiée par la Compagnie des Bateaux à Vapeur dans les années 40 (1840-1849)et la société de Construction Mécaniques de G. Cochot à Paris. Les Bateaux Le Parisien 1, Le Parisien 2 et le Parisien 3 qui ont participé à cette conquête de la Rivière Marne ont été construits par G. Cochot et ses successeurs dont M. Gache mentionné dans l’article ci dessus.
L’article qui suit est du 16 octobre 1841, il a été publié initialement dans le Journal de Chalons et repris dans le journal l’Aube quand Monsieur Cochot était encore à la tête de son chantier de construction d’où sortirent les prototypes à vapeur qui firent les premiers la liaison Paris Chalons sur Marne entièrement à la vapeur.
Ces articles de la presse du siècle derniers sont accessibles sur Gallica et surtout sur Retronews des sites créés par la Bibliothèque Nationale de France.
aurons bientôt des bateaux à vapeur sur la Marne.
source le Journal de Seine et Marne 24/05/1845 par retronews.fr
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Collections de cartes postales Nathalie et François Murtin. cité par le Journal de Saône et Loire
https://www.lejsl.com/actualite/2014/05/12/l-odyssee-des-bateaux-a-aubes-de-1850-a-1925 ↑
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Voir à ce propos la page de M. Pierre-Louis Thill « Le barrage de Vaires-Torcy pour alimenter le canal en 1864 »- Blog de l’association Riverains bords de Marne CHELLES 77500 http://www.lemarneux.fr/2024/02/le-barrage-de-vaires-torcy-pour-alimenter-le-canal-en-1864.html ↑
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https://www.tourisme93.com/le-canal-de-chelles-entre-neuilly-sur-marne-et-vaires.htm ↑
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voir pertuis de Noisiel http://www.lemarneux.fr/2020/02/l-ancien-barrage-de-noisiel-sur-la-marne.html ↑