Le canal de Gournay de 1808
Le canal de Gournay-sur-Marne
Voici une carte [1] de Gournay exceptionnelle datant de fin 1808, elle nous déroute complètement parce que le polytechnicien Emmery y a dessiné un canal qui traverse Gournay en sa partie sud au pieds des côteaux. Pour ne rien arranger, comme c’était encore l’usage autrefois le nord est en bas de la carte et le sud est en haut.
Ayant pitié des lecteurs, qui préfèrent voir le nord en haut et le sud en bas nous avons retourné la carte.
Emmery a dessiné en rouge un canal qui traverse Gournay
Mais le titre en haut nous rassure de suite : École Impériale des Ponts et Chaussées : dessins de concours. Plan général d’un canal à établir près de la Marne pour des usines.
Il s’agit du rendu graphique du devoir d’un élève-ingénieur au concours de sortie de l’École des Ponts et Chaussées, le 13 octobre 1808 (daté et signé Émmery au verso du plan).
Le travail demandé est une sorte d’étude de cas de génie civil : l’exercice consistait à concevoir une infrastructure fluviale capable de desservir une usine sur la Marne et de faire éviter à la navigation fluviale une zone de faible hauteur d’eau, le gué de Gournay et son coude.
Pour ce travail l’élève-ingénieur âgé de 18 ans et 1/2 , Henri-Charles Emmery de Sept-Fontaines reçut le 1er Prix du concours.
Il y propose de réaliser sur le territoire, inhabité à l’époque, de Gournay-sur-Marne un canal latéral à la Marne, évitant le gué et le grand coude de Gournay pour rejoindre la Marne à environ 2000 mètres plus loin au pied d’une usine. En amont, (à droite de la seconde carte) à la limite du département, un barrage, avec bief serait réalisé légèrement en aval de l’embouchure du ru de Merdereau. Un bief y ferait le plein du canal, laissant une bonne partie de l’eau s’écouler dans la Marne et mouvoir un moulin à eau. Il a prévu un pont pour le passage des usagers du bac de Gournay et du chemin à grande circulation de Villemomble à Guermantes.
Ce canal latéral à la Marne aurait aussi pour but d’alimenter une très vaste usine qui est dessiné en aval du canal. Connaissant la famille de l’étudiant et la suite de la carrière de Henri-Charles Emmery de Sept-Fontaines (1789-1842), il pourrait s’agir d’un chantier naval dont les cales doivent impérativement se trouver près de la rivière. Mais peut-être a-t-il déjà pensé à une usine de potabilisation sommaire de l’eau de la rivière. Cet ingénieur, familier de Buffon, passera une partie de sa carrière à alimenter Paris en eau potable captée en île de France.
Pour le vrai canal de 9,2km de Neuilly à Vaires, il est décidé en 1809 par Napoléon 1er, qui lance les études. Il faudra attendre le règne de Louis-Philippe 1er pour que démarre les expropriations de terrains, la seconde république pour que démarre les travaux de génie civil jusqu’à leur suspension causée par l’épuisement des crédits des « Ateliers Généraux » et le second empire pour leur relance par Napoléon III et que soit inauguré en 1865 un canal latéral à la Marne du nom officiel de « Canal de Neuilly à Vaires » dit aussi « Canal de Chelles ».
Henri-Charles Emmery de Sept-Fontaines était né en 1790, à Calais. Il fut diplômé à 17 ans de l’École Polytechnique et il fut admis à l’École Impériale des Ponts et Chaussées qui a succédé à l’École Royale des Ponts et Chaussées créée en 1747 par Trudaine et qui formait l’élite des ingénieurs du génie civil et militaire.
Signalons à nouveau que son projet de canal de Gournay-sur-Marne lui a valu le 1er Prix du Concours de sortie l’École des Ponts et chaussées.
Son premier poste fut inspecteur des Ponts et Chaussées pour la (rivière) Marne où il assura assez vite des responsabilités très importantes en l’absence de supérieur.
De 1810 à 1825, il supervisa la construction du Canal de Saint-Maur-des-Fossés, 1072m dont 597m en tunnel ouvert à la navigation en 1825 et un barrage sur la Marne et des écluses.
Par la suite, il a reçu la responsabilité d’une partie de la Seine. Il a notamment réalisé le Pont d’Ivry sur la Seine, à péage, inauguré en 1827 entre Ivry et Alfortville (alors quartier de Maisons-Alfort).
C’était un pont d’environ 122 mètres à cinq arches en bois sur quatre piles en maçonnerie réalisée au ciment hydraulique, en fait assez similaire au pont de Gournay à trois arches sur deux piles, inauguré en 1829 avec des techniques assez voisines.
Illustration du livre Pont d’Ivry par H.C. Emmery de Sept-Fontaines ENPC ed 1832 Gallica.bnf.fr
Aquarelle du Pont d’Ivry par Alfred Capaul (1827-1904) Archives départementales 94 avec nos remerciements à M. Lucien Follet
Son pont à cinq arches a résisté aux terribles débâcles de l’hiver 1829-1830, (quand la rivière charria d’énormes blocs de glace de plus d’une tonne) ce qui a fait l’admiration de sa corporation. Ceci-dit le pont à péage à trois arches de Gournay-sur-Marne du Vicomte de Barrès de Molard et du Duc de Lévis de Ventadour, réalisé deux ans plus tard, se comporta également très bien ce même hiver 1829-1830.
Autre aquarelle du même Pont d’Ivry par Alfred Capaul, Archives départementales 94 avec nos remerciements à M. Lucien Follet
En 1832, le livre[2] rétrospectif qu’il écrivit sur ce chantier, livrait tous les aspects techniques et même les raisonnements économiques du financement d’un ouvrage par un péage.
Détail de l’élévation d’une pile en rivière et de deux arches par H.C. Emmery de Sept-Fontaines 1832 (opus cita)
Lucien Follet nous a signalé qu’une Société Anonyme du Pont d’Ivry certainement la concessionnaire de l’ouvrage frappa un jeton le 1er mars 1832 représentant l’ouvrage à 5 arches en bois.
Plus tard, la navigation fluviale devenant très importante et délicate il fallut remplacer ce pont à cinq arches par une pont à trois arches avec de beaucoup plus larges travées métalliques.
Un autre de ses ouvrages plus étonnant pour l’époque de la part d’un ingénieur en chef des Ponts et Chaussées est un plaidoyer pour l’amélioration des conditions de travail des ouvriers chargés de réaliser et d’entretenir les infrastructures de génie civil.
Par la suite, il fut responsable de la modernisation et de l’extension des égouts parisiens et de l’adduction d’eau potable (provenant de la Dhuis notamment), il fit installer de nombreuses fontaines d’eau. Il contribua au nivellement de Paris, incidemment il participa aux commissions chargées de contrôler des concessionnaires des réseaux de distribution des eaux.
Carte statistique de distribution des égouts de Paris[3] par HC Emmery
Cartes statistiques de la distribution des eaux de Paris par H.C. Emmery
Reconnaissant, le roi Charles X l’a fait Comte Emmery de Sept-Fontaines et la Ville de Paris, débitrice de son dévouement, lui a offert magnanimement un magnifique vase de 7 kg et a donné son nom à une rue de 59 métres de long à Belleville XXème près des réservoirs de la Dhuis. Il reçut aussi le grade d’officier de la Légion d’Honneur en tant qu’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées.
Un de ses enfants, Henri Charles Léopold Emmery de Sept-Fontaines (1815-†1872) avec lequel on le confond, car il a suivi le même cursus des grandes écoles, fut député de la constituante de 1848 pour le Nord. Ensuite il prit la suite de son père, il régna sur les eaux et les égouts de Paris sous le Baron Haussmann et bien plus tard.
La tombe du Comte Henri Charles Emmery de Sept-Fontaines au père Lachaise n’a pas d’épitaphe mais le relevé mortuaire du faire-part nous dit ceci[4] :
Henri Charles, EMMERY de SEPTFONTAINES, officier de la légion d’honneur, inspecteur divisionnaire, des Ponts et Chaussées, né à Calais le 19 avril 1780, mort à Paris le 28 mai 1842. Il fut l’ami et le consolateur, des pauvres, le père et le défenseur des ouvriers, l’appui et la joie de sa famille. Il lègue à une veuve désespérée, le souvenir douloureux des jours des années de bonheur, à un fils dont il fut l’idole, la mémoire sacrée, de toutes ses vertus.
De l’eau avait coulé depuis sa carte du Canal de Gournay.
Claude Antoine Schwartz
Juin 2024
avec nos remerciements à Messieurs Lucien Follet et P-L T. du blog www.lemarneux.fr
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Extrait de https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b104812133.item ↑
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Le Pont d’Ivry par Henry Charles Emmery de Sept-Fontaines Détails pratiques sur ce pont, projet, exécution, écritures, concession à terme. Ed.Carilian-Goeury, 1832 – 304 pages dont 51 pages pour les figures
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https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53250715m ↑
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source : https://www.appl-lachaise.net/ ↑