Les grottes domaniales à Noisy le Grand et à Noisy le Roi : Inspirations italiennes et paysages orientés (I) par Ève Golomer »
Les grottes domaniales à Noisy le grand et à Noisy le Roi :
Inspirations italiennes et paysages orientés (I)
par Ève Golomer.
Publication originelle au sein de la SHNGC – Les Chroniques Historiques n°5 du 10 septembre 2021
Prélude à l’histoire
Depuis l’inscription « Noisi le grand » gravée par Jean Marot sur un ensemble de trois planches d’archives représentant, en fait, la grotte de l’ancien domaine du château de Noisy, les doutes sur le nom du domaine ont été dissipés. Les récentes fouilles archéologiques (Bruno Bentz, 2017, 2019) à Noisy-le-Roi ont retrouvé l’architecture attendue d’après les documents historiques.
De plus, l’Institut National d’Histoire de l’Art INHA a rectifié les références présentant les planches : « Plan, élévation et profil de la grotte de Noisy (sic Noisy-le-Grand), gravures de Jean Marot, publiées vers 1656-1659 ».
Si l’histoire de la grotte de Noisy, construite dans le domaine d’Albert de Gondi, est en grande partie reconstituée, celle de Noisy le grand, édifiée sur l’ancien grand domaine seigneurial de Villeflix, est maintenant à étudier afin d’éclaircir cette confusion identitaire existant depuis la moitié du XVIIe siècle.
Afin de se placer dans le contexte le plus souvent rencontré sur les textes et les légendes des documents d’archives, Noisy sera utilisé pour Noisy-le-Roi et l’orthographe de Noisy le grand pour Noisy-le-Grand.
La grotte de Noisy était un somptueux pavillon d’agrément sur deux niveaux : un salon à l’étage et des salles de fraicheur en-dessous. Qu’en est-il de celle de Noisy le grand ?
Plusieurs questions se posent : Y a-t-il eu des circonstances historiques ou des personnages particuliers qui auraient connu ces deux domaines les reliant dans des archives parvenues jusqu’au XXIe siècle ? Cette étude est la première partie présentée sur les deux prévues afin de commencer à apporter des éléments complémentaires à l’état de la question sur l’origine de la mystérieuse grotte noiséenne, celle de Noisy le grand.
Les contextes géographiques et paysagers
Les villes nommées Noisy pourraient prédominer en Île-de-France selon l’hypothèse des contextes géologique et climatique. Le nom Noisy évoque celui d’un arbre, le noyer, qui est issu du latin nucarius. Le noyer préfère les sols plutôt calcaires et les régions humides de climat océanique donc à proximité de la Seine et de ses affluents en Ile-de-France.
Le déterminant complémentaire « le-Grand », nucenum magnum en 1096, serait lié à l’étendue de la commune, et au fait que Noisy ait été résidence royale au cours du Haut Moyen Âge (INRAP, 2009). Les premières évocations de l’existence de Noisy le grand remontent aux écrits de Grégoire de Tours (transcris en 1893), à la fin du VIe siècle, dans l’Histoire des Francs, il évoque une « villa royale ».
Le nom des localités actuelles de Noisy-le-Roi est attesté sous la première forme de Noisi en 1173, celui de Noisy-le-Grand sous celle de Nucetum à la fin du vie siècle (Cocheris, 1874).
Situation régionale
Si, au sein de l’Ile-de-France, Paris est considéré comme le centre géographique des points cardinaux du fait de son histoire liée à l’ile de la Cité antique, berceau de la ville de Paris, ou à la forteresse défensive au Louvre, Noisy le grand est situé à l’est, et Noisy à l’ouest.
Les cartes anciennes de la fin du XVe siècle font figurer, dès 1598, le nom de Noisi le grand, alors qu’à cette date, c’est celui de Nois, sous la forêt de Marly. Il faut attendre 1650 pour que les deux noms soient lisibles, ensemble, sur une carte.
Figure 1 : Carte du Gouvernement Général d’Isle de France et pais circomvoisins en 1650 (cartothèque numérique de la Société d’Histoire de Nanterre cote FRAD092_4fi_005). Noisy est visible sur la gauche de cet extrait, au sud d’un méandre de la Seine et d’une zone boisée. Noisy le grand est à droite, au creux d’un méandre de la Marne.
Par la route de Meaux en passant par le pont de Charenton et celui de Gournay, la distance entre Noisy et Noisy le grand était d’environ 40 kms. A partir du centre de Paris, Noisy le grand et Noisy sont à des distances à peu près égales.
Le paysage local
Le contexte topographique commun aux deux sites est celui de domaines établis sur des terrasses. Si le château de Noisy est adossé à la forêt et son parc se déploie sur la pente d’un vallon, il est loin des bords de Seine. L’intérêt de son orientation géographique est que le domaine est tourné principalement vers le sud. La grotte, décentrée à gauche du château constitue, à elle seule, un petit palais comme était nommée la grotte de Meudon (le palais de la grotte, Brunon, 2004).
Pour Noisy le grand, le contexte paysager est différent : l’intérêt de l’orientation, bien que le domaine soit tourné, à l’opposé de celui de Noisy donc vers le nord, est celui de la vallée de la Marne. La façade côté jardin du château, la grotte et son pavillon sont dans le même axe, dirigé vers la rivière. Par ailleurs, sur cette page, les jardins, d’époques donc de modes différentes, figurent à l’anglaise à Noisy le grand et, globalement, à la française à Noisy.
Vers les origines de construction de la grotte de Noisy le grand
Le domaine de Villeflix est attesté par un acte notarié royal en juin 1423: « manoir, jardin, terre, prés, vignes et tous les revenus du domaine sis à Villeflix, à Noisy le grand, » cité par Maréchal (1978). Il a été progressivement démembré pour constituer d’autres fiefs dont, en 1632, celui de la Roche du Parc.
L’édification de la grotte située au centre du parc de ce nouveau domaine pourrait dater des propriétaires seigneurs des terres de Villeflix précédant l’acquisition en 1632 par le Sieur Simon Collon, conseiller du Roi Louis XIII. En effet, dans le document « Inventaire général des titres et papiers de la Terre et Seigneurie de Noisy le grand » : Erection du fief du Parc de la Roche, il est décrit au moment de la signature de l’acquisition de ce domaine qu’il existait déjà sur les terres du fief seigneurial de Villeflix :
« …plusieurs édifices……et dans icelui un grand canal revêtu de pierres de taille et au bout un pavillon ou il y a une chambre couverte d’ardoise, 3 fontaines et bassins le tout en un enclos fermé de murailles. » (AD 78 26 J/2 ; 04 04 ; P.3 ; le 6 janvier 1632).
Depuis le XVe siècle, le domaine appartenait directement à la couronne. L’hypothèse que la grotte de Noisy le grand ait été construite dans l’esprit des grottes de la Renaissance italienne et même à la fin du XVIe siècle est envisageable, en particulier, grâce à la personne de Catherine de Médicis dont le nom est répertorié dans les archives citant Noizy, cependant, est-ce Noisy le grand ?
Proximité du château de Monceaux et Noisy le grand
D’origine florentine, Catherine de Médicis avait quitté l’Italie en 1533 pour épouser le roi Henri II. La jeune reine aime le site majestueux du château de Montceaux-les-Meaux entouré des boucles de la Marne, aussi, en 1556, Henri II lui offre ce château Royal (Babelon, 1989). Le domaine du château de Montceaux est établi sur le plateau d’une colline avec un dénivelé de 100 m descendant sur 1 km en pente vers une boucle est de la Marne, en actuelle Seine-et-Marne.
Si la splendeur du site demeure, le monument est à l’état de ruines. Il est retenu pour cet exposé car s’il est à 55 kms du centre de Paris, il est géographiquement proche (une trentaine de kilomètres) et sur le chemin de Noisy le grand,. En histoire de l’art, il fait aussi intervenir Philibert de Lorme, architecte du roi, qui faisait partie des artistes français inspirés de la Renaissance italienne à la suite d’un long séjour en Italie (Pérouse de Montclos, 2000).
A Montceaux, en 1557, Catherine de Médicis commence par la construction d’une grotte et de son pavillon selon l’architecte du roi, Philibert de Lorme (orthographe variable selon sa signature ou de L’Orme, 1567, Gallica en référence pour les deux). Il fut le premier à porter ce titre après avoir eu celui de surintendant des bâtiments du roi (Pérouse de Montclos, 2000). Par une façade à l’ordre colossal, il rivalise avec la grotte construite auparavant en 1556 pour le château de Meudon par Francesco Primaticcio dit Le Primatice (Brunon, 2004) avec lequel il avait travaillé à Fontainebleau (artiste bolognais, en France de 1532 à son décès en 1570). Cependant, il entre, quelques années, temporairement en disgrâce, deux jours après la mort d’Henri II en 1559, Catherine de Médicis remercie Philibert de Lorme et confie les travaux de réaménagement du château de Montceau au Primatice. Le 12 juillet 1559, Le Primatice devient surintendant des maisons royales (Dimier, 1900).
Le château du Perron et les familles italiennes de Gondi et d’Elbène
Par ailleurs, en remontant à Lyon, après son mariage avec Henri II qui avait eu lieu à Marseille le 28 octobre 1533, Catherine de Médicis prenait à son service comme femme d’honneur l’épouse d’Antoine de Gondi qui devint, ensuite, premier maître d’Hôtel d’Henri II. D’origine florentine, cet homme de finances était aussi seigneur du Perron, propriétaire du château de 1521 à 1555, (Aubert de la Chesnaye Des Bois, 1866). Puis, à partir de cette date et jusqu’à 1582, la famille d’Elbène originaire aussi de Florence (Del Bene) devient propriétaire. Un de ses membres, par mariage en 1559, devient seigneur de Villeflix (pages suivantes).
La seigneurie de Noisy appartenant au domaine royal fut cédée en 1568 à un des fils d’Antoine de Gondi, Albert de Gondi (Corbinelli, 1705), c’est lui qui, en 1582, fit construire la grotte de Noisy, connue ensuite, par les plans de Jean Marot (sic, Noisy le grand).
L’étude des lettres de Catherine de Médicis renseigne sur les itinéraires suivis, ainsi elles témoignent, en particulier, de sa présence à Noisy le grand (référence à Noisy le grand selon une note des transcripteurs mais, dans le texte, orthographiée « Noizy », de La Ferrière et Baguenault de Puchesse, 1905). Le séjour à « Noizy » aurait duré trois jours : les 18-20 septembre 1583. Le contenu des lettres ne renseigne pas sur le séjour lui-même, mais sur le nom des personnages de l’entourage en rapport avec les affaires du royaume.
Comme pour la citation sur les planches de Jean Marot, la question de certitude va encore se poser sur le nom du lieu. En effet, ce mot « Noizy » est-il écrit pour désigner Noisy ou Noisy le grand ?
En faveur de Noisy le grand, plusieurs hypothèses. Tout d’abord, le fait que la reine-mère pouvait rejoindre son château de Montceaux en effectuant une halte à Noisy le grand (La Roche du Parc était incluse à cette date au domaine de Villeflix) en rendant visite à des amis très proches implantés depuis 1560 à Villeflix.
L’étude d’autres correspondances montrent que la fréquentation de Montceaux ne mentionne pas, a priori, un passage par Noisy le grand car les séjours à Montceaux furent, soit avant cette date : 21-26 juillet 1583, soit après : 21-27 octobre cette même année.
Autre hypothèse : à quels amis allait-elle rendre visite ? A Noisy ce serait Albert de Gondi, très proche de longue date, mais qui à Noisy le grand serait dans l’entourage royal ?
La famille florentine Del Bene (nom francisé d’Elbène), propriétaire du château du Grand Perron (Aubert de la Chesnaye Des Bois, 1866) pouvait en faire partie depuis le mariage, en 1559, de François d’Elbène avec la fille d’un seigneur de Villeflix. Or, ce château du Grand Perron appartenait initialement à un autre florentin, Antoine de Gondi, père d’Albert de Noisy et très proche de Catherine de Médicis (Alimant-Verdillon et Crozat, 2011).
D’un côté, à cette époque, la famille propriétaire du fief de Villeflix était bien dans l’entourage royal dont celle de Christophe Hennequin (décédé en 1531). Il était conseiller au Parlement de Paris, attesté Seigneur de Villeflix et de Dammartin en Brie (AN, 1524-1547, XI [MC/ET/XXXIII/11].
De l’autre côté, la famille de Jean-Jacques de Mesmes père (1490-1569), maître des requêtes, président du grand conseil, seigneur des Arches (1532) devient seigneur de Villeflix, en 1530 par son épouse (décédée en 1553, Généanet). Son épouse était Nicole Hennequin, fille de Christophe Hennequin.
Ensuite les destins de ces familles se rejoignent : une de leurs filles, née en 1541, Antoinette de Mesmes épousa François d’Elbène fin décembre 1559.
Ils eurent 3 enfants dont une fille Angélique d’Elbène qui aurait pu connaître Catherine de Médicis, cette dernière ayant un cousin, ami avec la famille d’Elbène (lettre du 21 juillet 1582 au Chevalier d’Elbène au sujet de ce cousin).
Angélique épousa en 1585 Antoine du Bouchet (1560-1638), ils eurent dix enfants. Le plus jeune, Jean-Jacques du Bouchet hérita de Villeflix (1607-1684, Généanet). Il fut donc présent au démembrement de 1632 où, pour créer le fief de la Roche du Parc, l’art italien inspirant les jardins du domaine, pouvait être présent par l’entourage artistique de sa femme.
Le château de Saint Maur des Fossés
Une dernière hypothèse envisageable en faveur de Noisy le grand est celle de la distance parcourue grâce aux itinéraires figurant dans les lettres.
Avant de venir à « Noizy », Catherine de Médicis était à Gaillon (Eure à l’ouest de Paris) jusqu’au 9 septembre 1583. Ensuite, il n’y a plus de lettre jusqu’au 18 septembre. Peut-être un passage aux Tuileries, avant de repartir, une semaine après, vers l’est de Paris à Noisy le grand ? Au retour, 2 jours après ce séjour à « Noizy », le 23 septembre 1583, la nouvelle lettre est écrite depuis le château de Saint Maur des Fossés (1541, début de sa construction par Philibert de Lorme, puis, de sa reprise de 1563-1569). Ce château était situé à, seulement, 5 kms de Noisy le grand.
La grotte et la scénographie d’un nymphée
Une hypothèse, en lien avec l’influence italienne dans l’art des jardins à Noisy le grand à partir du mariage d’Elbène de 1559, pourrait rendre crédible l’installation d’une grotte dans le parc de Villeflix entre 1560 et la fin du XVIe siècle On pourrait imaginer, qu’en 1583, lors de son passage, Catherine de Médicis fut curieuse de visiter cette nouvelle grotte et ses installations hydrauliques, sachant que le grand bassin de la terrasse supérieure avait 20 mètres de diamètre (Golomer, 2021).
Il est probable que ces éléments soient ceux d’un nymphée, car un bassin est dessiné sur toutes les cartes anciennes (les détails sont sur le cadastre précis et réalisés avant la rue de la Terrasse, creusée en deux épisodes : en 1931 et en 1965). Le bassin s’associe à des aménagements paysagers créant une scénographie tout autour.
L’art des jardins au moment de la Renaissance, en Italie, puis en France, s’exprimant avec les nymphées étaient un moyen de montrer la magnificence d’un jardin, ces grottes évoluèrent dans l’ambiance de la cour et devinrent une composante de l’habitat princier et aristocratique (Frommel, 2020).
Figure 7 : Vestige, depuis la terrasse inférieure, d’une partie de la grotte (figures 3 et 4) située actuellement sur 3 propriétés privées. Ce cliché est celui de la partie centrale du sous-bassement de l’ensemble architectural (en-haut la bordure de la rue de la Terrasse). Il est au 27 rue de la Terrasse à Noisy le grand, (article paru dans Noisy avenir, n° 2, octobre 1984, p. 25).
La partie cachée à droite du cliché (niche ouest selon figures 3 et 10 et symétrique de celle de l’est visible ici et en relief) est recouverte depuis au moins 1967 selon une vue aérienne (figure 11).
L’arc de la voûte est plus aplati pour la grotte de Noisy le grand par rapport à celui de Noisy en référence à la gravure de Jean Marot (figure 18). Il se rapproche d’un type d’arc décrit comme un « bandeau de plate-bande en tas de charge » et témoigne bien qu’il soutenait un étage au-dessus (figure 8) et selon le texte notarié de 1632 « une chambre couverte d’ardoises ».
La forme architecturale des ouvertures en arcades sur les parterres du jardin évoque celle de la façade du soubassement central de la grotte de Noisy le grand (figures 7 et 10). La grande terrasse au-dessus est un bel exemple pour illustrer le « bandeau de plate-bande en tas de charge ».
Face au château de la Roche du Parc, on reconnaît l’élément architectural (figure 7) représentant la partie centrale de la façade nord du soubassement d’une grotte de jardin en terrasse inférieure dont les parties latérales sont en arc de cercle. Cette forme latérale est très sombre et laisse imaginer qu’il s’agit de murs de soutènement de la terrasse supérieure dessinée pour la première fois en 1731 par l’abbé Delagrive (figure 3) et recouverte d’arbustes dans le style de l’art des jardins à l’italienne. Ainsi, des écrans de végétation taillée mettent en valeur le paysage en pente.
Figure 12 : Cette vue aérienne (IGN au 1/846 © Géoportail93.fr) prise en 1949 fait apparaître un précieux détail : les contours et la surface extérieure du pavillon, construit au-dessus de la grotte (figure 10).
En effet, au-dessus au nord de la rue et sur la terrasse en demi-cercle, une forme, plus claire que celle de l’herbe environnante, se dessine en tant que traces rectilignes de l’empreinte du monument. Ce dessin est celui d’un bloc cruciforme de carrés reliés entre eux et dont la limite sud s’interrompt juste à la limite du contour curviligne nord de la rue de la Terrasse.
Cette rue dévie le monument comme dans un rond-point circulaire. Cette particularité urbanistique de la voirie s’explique donc par la conservation d’un vestige patrimonial, celui du pavillon de la grotte sous-jacente. Un trait sombre en arrondi est l’ombre de la façade du soubassement de la grotte (figure 7), le trait plus clair sur la terrasse supérieure est le belvédère situé comme un balcon plus rectiligne en proéminence sur l’arrondi global (exemples figures 14 et 17).
Exemple de la grotte de Meudon 1552-1560
Figure 14 : La grotte de Meudon (elle a été détruite) gravée par Israël Silvestre (Faucheux 48-8, Baré N°486, © Fabien de Silvestre). Il s’agit du profil ouest-est du pavillon central de la grotte (avant 1655). Cette présentation montre clairement les deux niveaux de terrain pour l’ensemble « pavillon et sa grotte » construit comme l’était celui de Noisy le grand : terrasse supérieure avec le pavillon en bordure et terrasse inférieure avec l’entrée de la grotte sous une avancée soutenue par des colonnes. Cette avancée semble plus profonde pour Meudon que celle, arrondie, de la grotte de Noisy le grand (figure 12). Cet arrondi serait spécifique à la grotte de Noisy le grand mais y avait-il eu des colonnes en avant au tout début de sa création ?
Le paysage de la grotte au sein du domaine de Meudon
Figure 15 : Château de Meudon, vu du côté des jardins par Israël Silvestre avant 1655 (© Gallica). Cette estampe donne une vue d’ensemble du grand domaine de Meudon et présente, pour cette étude, le contexte paysager du « palais de la grotte », avec son coteau très escarpé, (figures 8 et 14), « bâtiment superbe et magnifique ».
Au tiers supérieur se dessinent, de face, les contours des trois pavillons de la grotte de Meudon sur une terrasse au-dessus d’un grand parterre quadrangulaire (description par Biver, 1923). La grotte a été détruite en 1736. A droite, les parterres et le Château-Vieux de Meudon qui a disparu depuis un incendie en 1806.
Le paysage de la grotte de Noisy le grand au sein du domaine de Villefrit
Figure 16 : Extrait pour le domaine de Villefrit (contenant initialement, avant 1632, le fief de la Roche du Parc) de la feuille 2 de la carte topographique des environs de Paris levée et gravée par M. l’abbé Delagrive, cartographe, en 1740, (© Geoportail93.fr).
La cartographie de Delagrive donne à l’axe général du domaine de la Roche du Parc un angle de 15 degrés vers l’ouest par rapport au nord, cette inclinaison est celle correspondant à la cartographie actuelle. La place de la grotte de Noisy le grand, même si plus modeste que celle de Meudon, avec son grand bassin est notable. Le domaine de la Roche du Parc s’est donc individualisé en fonction de l’orientation paysagère de la pente du coteau en bordure de la Marne.
Les plans de la « grote » de Noisy
Les 3 gravures ci-dessous sont extraites d’archives : Recueil des plans, profils et élévations des [sic] plusieurs palais, chasteaux, églises, sépultures, grotes et hostels bâtis dans Paris et aux environs par les meilleurs architectes du royaume desseignez, mesurés et gravez par Jean Marot. (Département estampes et photographies 4-HA- 7 (A), BnF). Ils auraient été publiés vers 1656-1659.
Le nom de Noisi le grand apparaît dans les coins supérieurs gauche ou droit sur ces planches notées 68-69-70.
Son existence a été révélée au service culturel de la ville de Noisy le grand en 1984, (figure 5). Cet assemblage, vu rapidement, a déclenché un nouvel enthousiasme pour le recueil des plans de Jean Marot. Elle fut ainsi appelée « grotte de Jean Marot » dans un diagnostic d’urbanisme régional (Robinet, Corteville, 2015).
Cependant, l’examen de l’appareillage architectural des pierres montre une disposition différente pour chacune des grottes et dans chacune des planches de Jean Marot. A noter, que dans son recueil, Jean Marot avait aussi gravé la grotte de Meudon.
En résumé, la grotte de Noisy le grand présente une façade curviligne alors que la grotte rectiligne de Noisy est identique à celle des planches de Jean Marot. Sur le profil, elles ont toutes les deux une petite terrasse, mais celle de Noisy est basée sur des colonnes et celle de Noisy le grand repousse le pavillon un peu en arrière (visible en vue aérienne) mais la toiture et la hauteur paraissent similaires. On ne connaît pas la profondeur souterraine de la grotte de Noisy le grand. La dimension extérieure peut être estimée à 16-20 m (vue aérienne). Celle de Noisy en correspondance avec le profil de la gravure de Marot (toises) aurait des dimensions similaires.
Ainsi, à la Renaissance, dans les grands domaines d’Ile-de-France, des grottes artificielles de jardin commanditées par Catherine de Médicis ou par des membres de son entourage royal (Brunon, 2004) existaient à : Meudon (avec le Primatice entre 1552 et 1560), Montceaux (Philibert de Lorme en 1557), aux Tuileries (Bernard Palissy en 1571) et à Noisy (artistes liés au site de Pratolino en Toscane, 1582).
Peut-être que la grotte du grand domaine de Villeflix, puis de la Roche du Parc, appartenant à l’entourage royal à Noisy le grand, pourrait en faire partie, même si la date est encore inconnue ? En effet, sur le plan architectural, elle présente des points communs avec les grottes de Meudon et de Noisy et, avec ses aménagements aquatiques et végétaux, elle pourrait, aussi, être d’inspiration Renaissance italienne.
Des fouilles archéologiques, limitées à sa partie sud, pourraient apporter de précieux renseignements sur la profondeur de la grotte et sa composition initiale. Elles aideraient aussi à la mise en sécurité du sous-sol du site.
Conclusion de la partie I
La conservation de vestiges importants de ce monument jusqu’à nos jours est peut-être due à la qualité des pierres de taille qui pourraient avoir été utilisées pour la construction de cet édifice appartenant à l’entourage royal, fin XVIe siècle ?
Des explorations se poursuivent pour faire avancer les hypothèses posées au sujet de l’histoire de cette mystérieuse grotte.
Remerciements
Au responsable et à l’équipe de la bibliothèque du Centre de documentation Jacques Guillard (Société Historique SHNGC et Archéologique de Marne-La-Vallée)
À Roland Cardot, responsable de rédaction des publications éditées par la Société Historique de Noisy-le-Grand, Gournay-sur-Marne, Champs-sur-Marne pour sa relecture attentive du manuscrit.
Références
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Louis Dimier, Le Primatice, peintre, sculpteur, architecte des rois de France. Essai sur la vie, les ouvrages de cet artiste suivi d’un catalogue raisonné de ses dessins et compositions gravées, Paris, 1900.
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Sabine Frommel, Enchantement, distraction et autoreprésentation : grottes artificielles entre l’Italie et la France pendant la Renaissance, dans les Grottes artificielles en Europe et à la Renaissance, Éd. Association Artefact. Techniques histoire et sciences humaines, Presses universitaires du Midi, juillet 2020, p.19-37.
Eve Golomer, Les nymphées de Villeflix et leurs nymphes au XVIIIe siècle, Chronique historique, n° 2, publiée le 16 février 2021 par la Société Historique NGC et Archéologique de Marne-la-Vallée, 14 pages.
Eve Golomer, Une mystérieuse pièce d’eau à découvrir au domaine de la Roche du Parc à Noisy-le-Grand, Chronique historique, n° 3, publiée le 25 mai 2021 par la Société Historique NGC et Archéologique de Marne-la-Vallée, 19 pages.
Eve Golomer, Le parc et les jardins en terrasse de Villeflix : dialogue entre cartes et textes – Bulletin n°1 réservé à cette thématique, Société Historique NGC et Archéologique de Marne-la-Vallée, 4ème trimestre 2015, 52 pages.
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Publication originelle au sein de la SHNGC – Les Chroniques Historiques n°5 du 10 septembre 2021